Fin mars, Eugère Rouir devait fêter ses 101 ans. Il s’en est allé le 1er février... Le Musée L a perdu un de ses grands mécènes ! L’exceptionnelle collection qu’il a donnée au Musée L en 1994 compte plus de 1500 estampes qui permettent de retracer six siècles d’histoire de la gravure (Fonds Suzanne Lenoir). Il veillait personnellement à la conservation des œuvres, et participait activement à leur documentation et à leur présentation didactique. Ses visites s’étaient faites plus rares, ces derniers temps, mais tous les collaborateurs et amis du Musée qui ont pu le croiser et le rencontrer en gardent, à jamais, un souvenir ému et reconnaissant.
En 1994, Ignace Vandevivere déclarait à propos d'Eugène Rouir : Imaginez que vous receviez un beau jardin en pleine maturité et, qu’en plus, le jardinier qui l’a créé vous offre ses services pour continuer à le développer et pour vous aider à en révéler les richesses aux visiteurs... Voilà à peu près ce qui est arrivé à notre musée avec le don d’Eugène Rouir. Cette donation est aussi remarquable que l’érudition et la perspicacité de ce connaisseur bien connu par ses publications dans le milieu spécialisé de l’estampe. Comme la science et la sensibilité qui l’ont inspirée, cette collection vaut autant par la largeur de son panorama que par la qualité des œuvres choisies. L’ensemble répond avec brio au désir de parcourir l’évolution générale de la gravure européenne du XVe siècle jusqu’à l’heure actuelle et de s’arrêter à quelques moments particulièrement inspirants ou sur quelques grands créateurs.
En 2000, Eugène Rouir témoignait : Certains l’écrivent, d’autres le disent, tous le pensent : être collectionneur est un phénomène pathologique. Consentir aux plus grandes privations afin d’accumuler des œuvres dont l’acquisition est capable de vous faire rêver durant des décennies ne laisse pas la société indifférente. C’est un cas doublement inquiétant quand, à son premier handicap, le collectionneur ajoute celui de donateur. En effet, comment expliquer qu’un homme normal, du jour au lendemain, laisse tomber la totalité de sa quête ? Ou il a lu avec fruit la parabole du jeune homme riche, ou il a une arrière pensée, sournoisement rester maître de ce qu’il donne avec la bonne conscience d’en faire profiter d’autres. Je me défends de l’une ou l’autre attitude. Je ne suis ni « contristé » comme le jeune homme de l’Évangile, ni aussi retors qu’on pourrait l’imaginer. Seul me reste le désir de permettre aux autres de trouver dans ce que j’ai fait une occasion de plaisir. Ainsi ma joie est-elle profonde quand on expose les estampes, au Musée ou ailleurs. Leur voyage inquiète toujours un peu, leur conservation me rend tatillon. Pourquoi ? Je ne devrais pas, elles ne m’appartiennent plus. Mais qui reprochera au père de la mariée de faire des recommandations au jeune époux enamouré ? « Soignez-la bien, qu’elle soit heureuse... ». Comme je comprends cet homme, je partage ses craintes, je suis en accord avec lui : on donne tout humain, jusqu’à ce que mort s’ensuive. Vues, les estampes l’ont été depuis 1994...